Être femme
Prologue
Tout commence au sortir de l’enfance par une perte blanchâtre au fond de la culotte. Petit à petit, on devient moins minotte. Lentement, le corps se transforme ; apparaissent courbes et tensions.
Un jour, le drame : ça y est, on est femme.
Pour certaines, le passage se fait en douceur. Quelques écoulements plusieurs jours durant, puis plus rien jusqu’au mois suivant.
Pour d’autres, en revanche, beaucoup moins de chance. Si les horaires sont variables, la durée, le débit et l’humeur le sont aussi. Parfois, la douleur se mêle à la danse…
Il existe autant de parcours que de femmes en devenir.
Les hommes connaissent d’autres bouleversements propres à leur genre. Ils ignorent souvent l’impact des changements hormonaux sur notre mojo et ne peuvent donc que subir sans vraiment comprendre. Nous devenons une « chieuse ».
Laissez donc l’une de ces chieuses vous conter son histoire.
Sandra
Moi, j’ai cumulé. À tout juste douze ans, j’étais déjà réglée.
La douleur de mes menstruations est insoutenable. Aux toilettes, des crampes me paralysent. Je monopolise la pièce pendant des heures. Je pleure, me tiens le ventre, me vide d’une diarrhée incontrôlable qui me pique le nez et me brûle les fesses, si bien que je suis obligée de rester à la maison une semaine sur quatre.
Le docteur Toutypass a une solution miracle, la pilule pour jeune fille. Selon lui, aucun effet secondaire. Je suis ravie, mes soucis sont finis !
C’était sans compter les fameux boutons. Adolescente, j’étais chanceuse, pas d’acné sur le visage. J’avais cependant souvent du mal à m’asseoir. Un jour de centre aéré, je suis gênée par l’un d’eux. Mon moniteur me questionne, je lui réponds, morte de honte et m’excusant, qu’un furoncle vicieusement placé m’empêche d’obéir.
Qu’à cela ne tienne, horrifiée et décontenancée, je me suis retrouvée allongée sur le bureau de la direction, fesses nues, deux doigts adultes faisant pression pour expulser ce fichu bourbillon.
« Je sais, ça fait mal, mais dès qu’il sera percé, la douleur disparaîtra », m’a-t-on expliqué pour justifier cette humiliante position. Finalement, ce n’est pas le bouton qui fit le plus de mal. J’ai eu bien d’autres furoncles, mais plus jamais je n’en ai parlé et toute seule, je les ai crevés.
Depuis, j’ai grandi.
Les charmants
J’ai rencontré le prince charmant à l’horizon de mes quinze ans. Il est grand, beau et élégant, sans parler de son séant ! Le mien va mieux, plus rien de disgracieux.
Le prince m’a séduite. Sans besoin de cuite. Je lui ai donné ma première nuit, mon âme rose, mon pétale immaculé et il m’a déflorée. Il m’aimera toute la vie… d’un papillon de nuit. Finie la poésie.
Le docteur Toutypass est maintenant épaulé d’une nouvelle gynécologue, la docteur Lapaluch. C’est elle qui me suivra désormais : palpations de rigueur, prélèvements, frottis, toujours le même refrain, pas souvent charmant.
Je connaîtrai d’autres princes pour d’autres vies, d’une nuit.
« Sandra, ça fait six mois qu’on est ensemble. Faudrait peut-être qu’on envisage quelque chose, non ?
— Je n’ai pas envie que quoi que ce soit change. On est bien comme ça. Je veux rester libre.
— Libre de quoi ? Il faut que tu grandisses un peu ! Deviens adulte, merde ! »
Quand devient-on adulte ? À dix-huit ans ? Vingt ? Qu’est-ce qu’un adulte ? Est-on adulte à quarante ans quand on reproduit encore et toujours les mêmes erreurs ? Est-on adulte quand on n’est plus un enfant pour personne ? Faut-il tuer l’enfant que l’on est pour devenir l’adulte que l’on doit ?
J’ai trente et un ans, et beaucoup d’ex-charmants. Un de plus.
J
J comme je, jour, joie, jouir, jubilation ; J comme jaculation, jactitation, jocrisse.
J comme jambon-beurre aussi, mais rien à voir. J quoi.
***
Assise sur la cuvette des toilettes, j’attends. Pas le déluge, ni que ça sorte. J’attends la délivrance, que l’encre révélatrice de ce fichu bâtonnet ait fini de se révéler. J’attends son verdict : suis-je la pire des gourdes ou la femme la plus chanceuse au monde ?
Une minute, interminable ! Une barre horizontale se dessine. Encore une minute. Souffle court. L’odeur d’urine me monte au nez. J’attends.
Je fixe le bout de plastique dans l’espoir vain de lui interdire d’en afficher davantage.
Pourquoi est-ce si long ?
Un léger trait bleu vient barrer l’horizon de la première en un parfait angle droit. Il me nargue. Mon cœur bat plus vite. Mon cerveau a cessé de fonctionner juste avant que je comprenne la signification, les implications de cette croix narquoise.
Mes neurones se reconnectent.
Test positif. Positif. Po-si-tif.
Treatland
J’ai besoin de comprendre. Un retour en arrière s’impose.
Mardi, J-3, Manu
« Aïe, doucement avec mes seins, s’il te plaît. Ils sont hyper sensibles en ce moment.
— Ouais, mais ils sont bien ronds, ça me plaît !
— Quoi, tu trouves qu’ils ont grossi ?
— Non, ils tiennent toujours aussi bien dans ma main, regarde.
— Doucement, je t’ai dit.
— Ils sont plus fermes. J’aime comme ils pointent.
— Range ta langue Manu, tu me chatouilles. Il faut que je rentre, j’ai une réunion importante demain matin. »
Trop tôt ? Possible.
Dimanche, J-5, Dimitri
« Salut, moi c’est Sandra.
— Dimitri. »
Les toilettes d’un bar branché. Rapide, pas franchement efficace. Libérateur, pour lui.
« Qu’est-ce que tu fous là ? Avec une pouffiasse en plus ! »
Une gifle, il est totalement libéré maintenant. Moi, partie.
Toujours trop tôt.
Samedi, J-6, Sam, Sambou et d’autres
13 h 34 – Mon iPad sonne. L’appli Treatland m’informe que SamPump06 a envoyé une demande d’ouverture de book. Un deuxième bip. La demande s’accompagne d’un message.
6 T au6 bone ke ta présentation le 10, ma Pump est pour toi
J’aime les poètes. Rendez-vous pris au motel du coin pour dix-sept heures. Capote enfilée, rapidement expédié. Aussi jouissif que son orthographe.
Non.
18 h 12 – Le bar d’en face.
Gin-Cola, rafraîchissant. Discussion avec le serveur, Sambou. Sa pause est dans vingt minutes. C’est joli Sambou. Vérification faite dans la réserve, il n’a pas menti : entre mes seins, sa queue dépasse largement. Je n’ai aucun mal à le prendre en bouche. Lui, aucun à me prendre tout court.
Possible, mais un peu tôt.
20 h 40 à la maison. Le voisin d’à côté n’a plus de sel. Je sors de la douche. Je préfère la mayo.
Non.
23 h 59 en boîte. Je ne connais pas les prénoms, je me déhanche. J’ai chaud, très chaud, partout, encore. Ils le sentent, s’agglutinent autour de moi. Je danse, j’allume, je bois, j’aime, trop, pas longtemps.
Possible, mais non.
Vendredi, J-7, Ventura
19 h 13 Cling ! C’est Treatland.
Ventura vous offre un café virtuel.
Je réponds. Un verre au bowling. On joue au billard : sa queue, ses boules, mes trous. Crac.
Possible.