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Souvenir d'embarras

Souvenir d'embarras

Internet, c’est magique. On peut tout faire avec, même son marché du soir. Espoir.

Voici un souvenir d’une époque frivole. Hyper connectée, je sélectionnais une poignée d’hommes avec lesquels je discutais quelques jours par messagerie instantanée afin de s’assurer mutuellement de la concordance de nos attentes : passer un bon moment de partage et volupté, sans aucun autre engagement. J’en rencontrais un nouveau chaque soir, retenu pour son humour, son répondant, sa disponibilité et sa… verve. Habituée à ces rendez-vous, mais prudente, j’attendais toujours les hommes dans un endroit public, nous buvions un verre avant d’opter pour un environnement plus intimiste si les atomes accrochaient. J’étais du genre entreprenante et perdais rarement du temps en conciliabules inutiles.

Ce jour-là, j’ai un bon feeling avec Cédric. Sans comprendre pourquoi, je lui fais confiance tout de suite, il dégage un calme apaisant et une nonchalance particulière. Il garde la maison d’une amie de sa mère dans un quartier huppé que je connais mal. J’ai un sens de l’orientation exécrable mais, forte de ses explications claires et ses injonctions encourageantes, j’accepte de l’y rejoindre directement.

J’arrive sans difficulté et me gare à proximité. Pourtant fière de moi, voici que je me mets à trembler comme une feuille de trac à l’idée de rejoindre ce jeune homme qui m’a fait si bonne impression.

Je me fais violence. Je ne suis pas venue jusqu’ici pour rien ! Je sonne, mais qu’est-ce que je fous là ?

Il m’accueille avec le même flegme que perçu à l’écrit. Je tremble toujours, bégaye, cherche mes mots. J’hésite entre partir en courant, me cacher dans les jasmins buissonnants de l’allée ou lui sauter dessus tant il me plaît. Ses yeux me transpercent, sa bouche m’appelle. Ses lèvres bougent mais je n’entends rien. Je fixe le béret qui cache sa calvitie précoce. L’embrasser, je dois l’embrasser pour conjurer le sort. Il est en haut de l’escalier.

J’opte pour le sourire niais et les paupières qui frétillent. Je me déteste, je le suis.

Il me propose à boire, je m’entends répondre. Il me sert une bière. J’ai horreur de la bière, son odeur m’écœure, s’imprègne partout, s’immisce jusque dans mon cerveau pour geler ce qu’il en reste. Il s’assied sur le canapé et m’invite à en faire autant. Mes genoux grelottent, comme mes neurones. Ses yeux rieurs me déshabillent. Je voudrais réagir. Je m’assieds… par terre ! J’ai raté le canapé à force de reculer et me retrouve fesses sur le sol, jupe déchirée, bas fendu (j’en ai sauvé un !), chemisier maculé de bière fraîche, collante et main en sang.

Mon petit doigt porte encore la marque de ce rendez-vous particulier, comme pour me rappeler qu’en cas de peur qui monte, l’action paralysante vaut mieux que la paralysie active.

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