Youpi, c'est mercredi !
« Salut, à demain ! Ah ! non, pardon. À jeudi !
— Oui, à jeudi.
— Sérieux, t’en as d’la chance de couper la semaine comme ça. Avoir son mercredi, c’est le pied.
— Oui, c’est sûr. C’est pour voir les enfants grandir.
— T’as raison. Allez, je file. »
Passer à quatre-vingts pour cent, prendre mon mercredi pour m’occuper des enfants, avoir la matinée de repos pour moi, pour écrire ! L’après-midi consacrée à leurs activités. Voilà quelle avait été ma grande idée de ce début d’année.
Ah, ça n’a pas arrangé mon avancée professionnelle, c’est certain. Mais qu’est-ce qu’un job à côté de la joie d’être maman, de voir ses enfants s’épanouir, s’émanciper et s’émerveiller ?
7 h 00
Le réveil sonne, j’ai encore traîné hier soir et je me suis couchée tard. Machine, repassage, cartables, liste de courses, démaquillage, « Chérie, tu viens te coucher, je bosse, moi, demain ! », devoir conjugal, un peu de lecture, réveil du petit pour aller aux toilettes, trop tard, changement de draps.
« Fais chier ce petit con, c’est quand qu’il va apprendre !
— Chut, rendors-toi, c’est rien, je m’en occupe. »
J’ai dormi quatre heures. Un cycle complet, parfait !
7 h 15
Deuxième sonnerie, le rappel. Faut vraiment y aller, là.
Je m’extrais du lit, courbaturée de la veille. Non, pas les exploits conjugaux, le cours de gym du midi.
Petit passage dans la salle de bain, rapide, de toute façon, vu ma tête, il n’y a plus grand-chose à sauver, pas même les apparences.
7 h 30
Réveil des monstres. Leur porte est ouverte depuis un quart d’heure, personne ne bouge. La grande bave sur l’oreiller, la bouche ouverte et les bras écartés. Je la caresse doucement, un grognement, elle se retourne. « C’est l’heure de se lever ma chérie, il faut y aller. » Nouveau grognement.
Je change de chambre. Sitôt passée la porte, le petit saute du lit, me pousse sur le côté, et part en courant vers les toilettes. « Non, c’est la salle de bain, ça, mon loulou. On ne fait pas pipi dans la baignoire. » Demi-tour, il trouve la bonne porte.
Retour vers la grande. « Allez, cette fois on y est, debout la puce ! J’ai allumé la télé, tu vas rater Robin des Bois. » Debout en une seconde, la tête dans le sac – pour être polie –, elle descend les escaliers en trombe et se glisse sous le plaid du canapé, en mode zombie.
7 h 50
Leurs habits sont prêts, je leur glisse leur petit-déj’ dans les mains pendant qu’ils continuent de se zombifier.
« Les enfants, il faudrait songer à s’habiller !
— Oui maman ! » répondent-ils en chœur.
Premiers mots de la journée ! Youpi, je n’les ai pas perdus.
Pendant que j’étends le linge d’une nouvelle machine, les enfants sont censés s’habiller et finir leur petit déjeuner.
Je rentre. La tasse de cacao est par terre, la grande grimpée sur le petit qui hurle, la brioche au chocolat écrasée sur le canapé. Pas grave, on nettoiera plus tard. Bonne nouvelle, ils sont habillés !
Non, c’est pas bien de taper son frère. Oui, c’était ton chocolat. Non, tu ne peux pas lui reprendre dans son ventre. Loulou, va mettre tes chaussures.
8 h 10
« Bon, faut y aller, sinon on va être en retard. »
Et là, tous les matins, impossible de savoir pourquoi, ma montre passe systématiquement de 8 h 10 à 8 h 22. Quoi qu’on fasse, peu importe la manière dont on s’y prend, il est systématiquement 8 h 22 quand nous montons dans la voiture.
Je vous fais grâce du chemin plus ou moins bruyant jusqu’à l’école, plus ou moins joyeux, plus ou moins… Bref, je vous en fais grâce.
8 h 29
Il faut courir, le portail de la grande est déjà sur le point de se fermer. Le petit traîne la patte, sinon, c’est pas drôle. Cartable à roulette rose traîné derrière elle, la grande court devant. Petit signe de la main, elle est déjà loin. Et mon bisou ? Demain. À travers la grille, je jette un œil. Les copines, les copains, elle va bien.
Le petit me tire par la manche. « Oui, on y va. » Un petit bisou plein de chocolat, je lui essuie le coin des lèvres, c’est lui le plus beau. Son petit cartable rouge gigote sur son dos à chacun de ses pas. Il est vide, mais c’est comme les grands. Lui aussi est parti.
8 h 37
Libérée… Délivrée…
8 h 38
Ah merde, non, réunion de la Commission de la Caisse des Écoles pour le choix des menus de cantines à la mairie.
Il faut traverser la ville, se garer, remonter la rue piétonne pavée, pour faire jolie. Pourquoi j’ai mis des talons aujourd’hui
8 h 56
Encore des sourires.
« Bonjour, monsieur Lecointre, ça fait plaisir de vous voir. Vous avez l’air en forme.
— Bonjour madame Ripol, répond-il sans oublier de me regarder bien plus bas que les yeux.
— Moi, c’est madame Edengac, toujours, depuis deux ans. » Quel con, cet adjoint !
9 h 53
Fin de la réunion, super importante. Le 6, ils mangeront du brocoli. C’est beaucoup mieux que le gratin d’aubergines…
Je rentre. Merde, les courses. Tant pis, on verra tout à l’heure.
10 h 12
Oups, le canapé. Oups, la cuisine, le salon, la salle de bain, les toilettes, les chambres… Le linge, lessivé, séché, repassé, plié, rangé…
11 h 19
Nouvelle alarme, déjà ?!
Et mon texte pour le défi « une heure » d’Atra ? Je m’étais dit que celui-là, au moins, j’aurais le temps… Tant pis, ça aussi.
Vite, on range les gants, les produits dangereux, on finira plus tard, ça aussi.
11 h 30
Driiiiing, c’est la cohue. Tous les parents sont agglutinés devant les grilles. Vous en faites pas, ils vont vous les rendre vos gosses, croyez pas qu’ils vont les garder, sont trop contents de s’en défaire.
Le petit d’abord.
« Maman ! Tu sais quoi, Nathan il avait une moto qui casse la route z’ai eu un point vert mais Thibault y m’a tapé on a lu un livre sur les lapins Lily c’est plus ma copine tu savais que les tortues elles meurent pace qu’Auçan ils donnent des sacs qui vont dans la mer. Pas vrai que c’est pas bien ? Hein maman, maaaman !
— Oui, mon cœur. Mais tu me raconteras tout ça tout à l’heure. Là, il faut traverser la foule pour aller chercher ta sœur.
— … »
11 h 36
La grande sort, elle ne m’a pas vue, trop de monde sur les trottoirs, je ne peux pas la rejoindre. Elle ne regarde pas où elle va, se retrouve au milieu de la rue. Une bagnole arrive, trop vite.
Le gars de la circulation la rattrape par le bras, la tire. La voiture pile. Le conducteur se prend une soufflante, repart en faisant crisser ses pneus. « Merci, monsieur. » J’ai perdu un battement de cœur, mais pas ma fille.
11 h 45
Retour à la maison.
« On enlève les chaussures, s’il vous plaît.
— Pff, pourquoi ? Ça sert à rien, on va les remettre pour ressortir
— Parce que j’ai lavé le sol et que je n’ai pas l’intention de recommencer dix fois aujourd’hui.
— Pff, t’es nulle !
— Moi aussi je t’aime. Maintenant, va te laver les mains, on mange dans cinq minutes. »
Merde, j’ai rien préparé…
« Maman, qu’est-ce qu’on manze ? Z’ai faim ! Ze peux avoir un bonbon ?
— Non, mon chéri, ce n’est pas l’heure.
— Mais z’en veux un !
— Mais j’ai dit non. Va jouer un moment, je vais vous appeler. Ou, tiens, va mettre la table si tu veux.
— Non ! » claque-t-il en tapant du pied et croisant les bras, sa petite lèvre retroussée.
Grrr… Non, je ne m’énerverai pas. Je me retourne et vais dans la cuisine. Je n’ai pas envie de lutter.
12 h 05
« À table !
— Non, z’ai pas fini mon avion !
— On mange quoi ?
— Purée verte, frites, et un peu de viande. Regarde, j’ai fait des bonhommes.
— Pff, c’est nul ! Tu sais, j’ai plus quatre ans, maman, hein !
— Non, seulement six. Allez, mange, ça va refroidir.
— Maman, pourquoi c’est tout bleu dans les toilettes ? »
Zut, j’ai oublié Harpic…
12 h 20
Loulou a fini son assiette. En effet, il avait faim. La grande fait toujours la tronche, sa purée est froide, ses frites éventrées.
12 h 45
Deuxième assiette enfin vide. Le petit a démonté le salon en attendant sa sœur. Il saute partout.
« Maman, c’est à quelle heure le foot ?
— Pas tout de suite, tu peux aller jouer dehors en attendant, si tu veux.
— Non, ze veux y aller tout de suite ! Ze peux regarder la télé ?
— Ta sœur est encore à table, tu l’as regardée ce matin. Il fait beau. Prends ton ballon.
— Pff.
— Loulou, mets tes chaussures avant de sortir…
— Pffffff.
— Non. Tes baskets, pas les crampons.
— Pfffffffffffffffff. »
13 h 00
Le dessert de la grande est enfin avalé. Cinquante-cinq minutes pour une cuillère de purée, trois frites, cinquante grammes de viande et un yaourt. Ce fut rapide aujourd’hui. On a trente minutes devant nous !
« Tu veux emmener quoi à ton club d’art plastique ?
— Je sais pas, je suis pas inspirée. Laisse-moi souffler, ça va venir. »
Oui, six ans seulement. J’attends les quatorze avec impatience.
« Mamaaaaaaaan ! Le ballon, il est chez madame Ledusse…
— Ah, madame Leduche est en vacances. On le récupérera ce week-end quand elle reviendra.
— Non ! Ze le veux tout de suite !
— Tu devrais taper du pied plus fort, je ne suis pas sûre qu’elle t’ait entendu en Bretagne.
— … (bras croisés, petite lèvre retroussée, comme on l’aime)
— Son portail est fermé. Je ne peux pas y aller. Change-toi maintenant, nous allons partir.
— On va où ?
— Ben, au foot et au club de ta sœur.
— Non ! Ze veux pas y aller.
— Écoute, tout à l’heure tu étais impatient, l’heure n’avançait pas assez vite et maintenant tu ne veux plus. Il est où le problème ?
— … (bras croisés, sans la lèvre)
— Si tu ne me dis rien, je ne peux pas deviner.
— … (non, rien)
— Bon, allez, change-toi. Tu es prête ma chérie ? »
Elle descend alors de sa chambre avec un carton plus gros qu’elle remplit de divers objets récupérés un peu partout dans la maison. Je reconnais notamment un cintre, des rouleaux de papier toilette vides, mais surtout, ma nouvelle nuisette en satin noir et une des ceintures de son père.
« Tu comptes faire quoi avec tout ça ? Tu es bien sûre que tout est à toi ?
— Pfff, je peux jamais rien faire avec toi ! C’est pas juste ! Tout c’que tu m’donnes c’est nul !
— Ma chérie, tu as du tissu à revendre dans ta corbeille, sers-toi. Mais ça, ce ne sont pas tes affaires. »
Elle me lance un regard noir, croise les bras et tape du pied. Douce enfant adorée.
13 h 30
« En route ! »
13 h 45
Je dépose la grande.
« Bonjour madame Fétou. Je vous la laisse, j’ai le plus jeune dans la voiture. Amuse-toi bien, ma chérie, à tout à l’heure. »
Nouveau regard noir, elle fait toujours la gueule, ça lui passera.
14 h 00
J’ai retraversé la ville dans l’autre sens. Arrivée au club de foot, toutes les super mamans sont là. Il y a même des mégas papas ! Qu’est-ce qu’elles ont à me regarder comme ça ? Je suis pas maquillée ni pomponnée et alors ?
« Maman, pourquoi t’as gardé tes saussons ?
— Mes saussons ? »
Il regarde mes pieds. Et merde. Je suis en débardeur blanc, petit short noir… et mules à fourrure rose. Tant pis !
14 h 12
Le petit est lancé sur la pelouse. J’ai pris deux photos, fait un petit film. Voilà, je suis une bonne maman. Maintenant, faut retraverser la ville, vers l’ouest, faire les courses que j’ai oubliées ce matin. Merde, la liste. Bon, on fera au feeling…
15 h 15
Je ressors avec tout et n’importe quoi. Surtout n’importe quoi et pas tout à fait tout.
15 h 29
Pile à l’heure pour récupérer ma fille. C’est quoi ce bonhomme en polystyrène ? Elle est jolie sa jupe en satin. Ça me rappelle un truc. Vite, faut tout retraverser pour le deuxième. Vite, quelle idée de finir à la même heure…
15 h 37
J’ai brûlé deux priorités et failli nous faire économiser une retraite, mais on est arrivées.
15 h 40
Plus personne sur le terrain. Pas de Loulou à l’horizon. Le Club House ! Au pas de course, on retraverse l’allée. Loulou, sur les genoux d’une jeune fille, s’enfile une montagne de madeleines en riant. Traumatisé j’vous dis ! Mon cœur repart.
« Merci mademoiselle. Oui, moi aussi j’ai eu peur. Oui, je suis désolée, j’avais ma fille à récupérer de l’autre côté de la ville. Non, ça ne se reproduira plus. »
15 h 54
« Maman, j’ai faim !
— On arrive à la maison, deux minutes.
— Mais j’ai faim tout de suite.
— Ben tu vas attendre. »
Nouveau regard noir. Elle m’a manqué.
16 h 03
Je sers deux verres de jus de fruits sur lesquels ils se jettent, recommence et sors mon attirail à pâtisserie.
Trois œufs, un peu de farine, du sucre, mon fouet.
16 h 09
J’enfourne.
« Maman ! Z’ai faim !!!!
— Tu viens de t’enfiler je ne sais pas combien de madeleines. Tu peux bien attendre un peu. Sept minutes exactement.
— Ça fait combien sept minutes ?
— Et bien regarde le four. Quand il sonnera, cela fera sept minutes. »
Il regarde pendant environ dix secondes, « C’est trop long ! », tape du pied – j’aime ce pied ! – puis s’en va dans sa chambre.
16 h 16
Je termine la vaisselle.
« Bip bip bip bip bip »
Je démoule ma génoise, la tartine de pâte à la noisette faite pour ça, la roule et la pose dans mon plat.
16 h 22
La moitié du gâteau est déjà engloutie, les doigts déjà essuyés sur le tee-shirt et les enfants repartis. Ça va plus vite que la purée.
16 h 28
« Poussinette, il va falloir songer à faire les devoirs.
— Ouais, plus tard, je suis occupée.
— Non, maintenant, tu finiras ça après.
— Pfff, c’est toujours quand tu veux toi et jamais moi
— Et oui, ma chérie, le monde est injuste et c’est moi qui commande. Allez en piste. »
Ce bon vieux regard noir, comme je l’aime.
Dictée, math, poème. On est gâtées aujourd’hui.
17 h 15
« Loulou, tu peux aller jouer aux raquettes dehors, le mur du salon n’est pas un filet. J’ai bientôt fini avec ta sœur, on fera de la peinture après.
— Ouuaiiiiiis !
Il part en courant. Ouf, pas de pied.
17 h 21
Nappe en plastique, palettes, feuilles, pinceaux, tampons, j’ai tout sorti.
Ils s’éclatent. Je range le salon, encore.
“Maman, dessine-moi un papillon.
— Et moi une moto ! et un avion.
— Non, pas comme ça le papillon, plus grand. Pff, t’es nulle maman.” 18 h 02
Il est temps d’arrêter. C’est l’heure du bain. Ça chouine, ça râle, normal. Mais il y a des bulles dans l’eau alors ça va ! Ça s’éclabousse, ça chahute, je range le salon, encore.
18 h 28
Les enfants sont sortis du bain, lavés, séchés, pyjamés. Ils jouent tranquillement dans leur chambre, le salon est rangé, oui ! Plus de bruit, je m’assieds sur le canapé, allume l’ordinateur portable pour lire les derniers commentaires sur le dernier texte publié sur Atra la semaine dernière.
18 h 32
La porte de la maison s’ouvre. Mon cher et tendre époux passe la porte, jette son sac dans l’entrée, ses clés sur le meuble, ses chaussures dans le couloir, s’avance de son pas si léger vers moi et, m’embrassant tendrement, me demande :
“Qu’est-ce qu’on mange, j’ai la dalle ! T’as rien préparé ? Tu fous rien de ta journée et je te retrouve le cul dans le canapé. Encore ton site d’auteurs ratés…
— Oui mon amour, moi aussi j’ai passé une bonne journée.”
J’en ai d’la chance de couper la semaine comme ça… Vivement demain !